« Pour que l’asile soit un droit réel »

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Un réfugié afghan à son arrivée sur les côtes de Lesbos en Grèce@ SOEREN BIDSTRUP / SCANPIX DENMARK / AFP

Lettre ouverte à monsieur le Député Gauvain

« Pour que l’asile soit un droit réel » du collectif Chalon71-Solidarité-Migrants*

(*La Cimade, Asti LDH, ATD Quart Monde, CCFD- Terre-Solidaire, Collecti Chalonnais pour la Solidarité Internatinale, Pel-Mel, EELV, PCF71, des citoyens…)

Monsieur le Député, à votre demande, trois représentants du Collectif Chalon-Solidarité-Migrants sont venus vous rencontrer à votre permanence, le vendredi 9 février 2018 à 17h, pour « échanger » sur le projet de loi sur l’asile qui sera présenté mercredi 21 février 2018 à l’Assemblée Nationale. A l’issue de notre échange, nous avons eu l’impression de ne pas avoir été entendus, voire quelque peu instrumentalisés à dessein, ce que confirme la teneur de l’article du JSL, en date du 16 février 2018, dans lequel vous présentez votre implication dans le futur projet de loi Asile et Immigration.

Nous souhaitons vous faire part de nos remarques concernant l’article du JSL, cité ci-dessus. Vous parlez de « vague migratoire ». L’expression nous paraît volontairement excessive et nous regrettons que vos propos puissent servir de porte-voix à une minorité active hostile et aux positions les plus extrêmes.

Malgré le discours dominant d’une certaine élite politique, des centaines de citoyens s’organisent pour héberger des réfugiés, leur apprendre le français, les accompagner dans leurs démarches administratives… Une solidarité silencieuse et opérante est à l’œuvre mais vous refusez de l’entendre, préférant visiblement vous focaliser sur une prétendue opinion publique mal informée et rencontrée au hasard des marchés. Vous devriez concrètement faire un état des lieux des solidarités dans notre pays en rencontrant et dialoguant avec les anonymes qui œuvrent chaque jour pour combler les faiblesses de l’Etat en matière d’asile. De plus en plus de personnes font l’expérience de l’altérité et si les Français n’étaient pas aussi solidaires pourquoi la future réforme prévoirait-elle de renforcer l’arsenal répressif avec un « délit de solidarité » ?

Nous souhaitons également réagir et rendre publics les différents points abordés lors de notre rencontre et l’absence de réponses auxquelles nous nous sommes heurtés.

Mais avant de rentrer dans le détail technique des questions soulevées, revenons sur un projet de loi déjà très contesté par les professionnels eux-mêmes puisque des syndicats des agents de l’OFPRA (Institution chargée d’examiner les demandes d’asile) s’insurgent contre ce projet qu’ils trouvent « dangereux » et appelent à la grève. Par ailleurs, le personnel et des avocats de la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile, chargée d’examiner en appel les demandes d’asile rejetées par l’OFPRA) ont également appelé à la grève, mercredi 21 février 2018, et ce, alors même que dans vos propres rangs à l’Assemblée Nationale, les positions sont très contrastées sur ce texte. Cela traduit un malaise profond. Il est vrai que ce que l’on sait de la réforme à venir est particulièrement inquiétant.

Vous en conviendrez sans doute, légiférer pour réformer le droit d’asile en France ne s’improvise pas. La future réforme qui met en jeu la survie de milliers de personnes, requiert de s’entourer de paroles expertes et de s’appuyer sur les compétences des gens de terrain. Sur le plan local, cela n’a pas été le cas, et au niveau national, la Coordination Française pour le Droit d’Asile, qui existe depuis 2002, n’a pas été consultée. Pourtant, elle vient de publier (*) un premier bilan critique de la loi du 29 juillet 2015, et pointe l’inconséquence du « plan immigration » du gouvernement actuel. Ce rapport fait également état de propositions pour le futur projet, en référence à la Déclaration universelle des droits de l’Homme et à la convention de Genève sur les réfugiés, ainsi qu’à la Convention internationale sur les droits de l’enfant et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et sur la base de ses expériences quotidiennes au côté des personnes exilées.

La situation des personnes en demande d’asile est devenue très problématique, tant au niveau de la procédure
que de l’accueil. Lors de notre échange, nous avons justement constaté de votre part une méconnaissance des

problèmes sur le terrain et des effets désastreux des positions prises en préfecture, ainsi qu’une mauvaise appréciation des conséquences humanitaires qui en découlent. Au contraire, votre posture semble s’inscrire dans la volonté du gouvernement de rendre inaudibles les associations et les citoyens favorables à un asile réel et digne.

Lors de notre rencontre, vous nous avez fait savoir que :

  • Il est hors de question pour le gouvernement de s’attaquer au problème des « dublinés », ni à la circulaire du 12 décembre 2017. Cette circulaire s’attaque pourtant au principe républicain d’inconditionnalité de l’accueil et du droit d’hébergement, en faisant le tri parmi les personnes qui demandent un hébergement d’urgence au 115.
  • Aucune solution n’est proposée pour les 70% de migrants déboutés du droit d’asile, à part le renforcement des expulsions au titre du « contrôle des flux migratoires », donc par la même, aucune volonté de sortir les personnes les plus fragiles de la précarité et aucune solution pour les sans-papiers. L’expulsion de 70% de personnes déboutées n’est de toute façon pas réalisable et ne règle pas le problème des nouvelles personnes arrivantes.
  • La situation des mineurs en passe de devenir majeurs n’est pas traitée dans le nouveau projet.
  • Le scandale des poursuites contre les personnes accusées de « délit de solidarité » restera entier.
  • Il n’est pas envisagé par le gouvernement de faire participer les différentes associations présentes quotidiennement sur le terrain à l’élaboration de la loi.
  • Le problème des centres de rétention d’asile (CRA) et de la rétention des mineurs est resté sans réponse claire, sauf à envisager des « accueils » proches des aéroports.
  • Les différentes propositions, comme la création d’un titre de séjour unique donnant droit au travail, ou l’utilisation d’outils existants et recommandés par le HCR comme la « protection temporaire », sont restés sans réponse claire.

Selon nous, le projet porté par la majorité présidentielle est irresponsable et ne prend pas en compte la dimension géopolitique du fait migratoire, ni la politique extérieure favorisant le développement et la coopération économique ou encore la pression sur les états défaillants. Le phénomène de la migration est un phénomène très ancien et à long terme qui nécessite une réponse adaptée sur le long terme, or ce nouveau projet de loi s’inscrit dans une vision électoraliste à court terme.

Oui, devant l’évidence de la catastrophe qu’augure la future loi sur l’asile, nombreux sont ceux qui s’indignent, dénoncent et s’organisent. Un peu partout en France, des centaines de collectifs citoyens locaux et des centaines d’associations préparent activement les Etats Généraux de la Migration qui se dérouleront au printemps. Nous vous invitons à aller les rencontrer. Réellement. Quant à nous, nous faisons partie de ceux qui s’organisent et nous donnons d’ores et déjà rendez-vous à nos concitoyens dans les semaines à venir.

Monsieur le Député, nous ne sommes ni des naïfs ni des irresponsables. Nous nous sentons tout simplement concernés par la fragilité des vies et nous entendons porter les valeurs de notre République, inscrites aux frontons de toutes les mairies, Liberté, Egalité, Fraternité. Plus que des mots, ce sont des convictions fortes qu’il nous faut sans cesse défendre et rappeler dans le désordre de la migration et le bruit médiatique qu’il produit. C’est avec ces mots simples que nous vous interpellons en tant que citoyens, car pour ne pas à avoir à répondre de nos choix demain, il nous faut être juste et digne aujourd’hui.

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